mercredi 21 janvier 2015

Rencontre en tribu


La Nouvelle Calédonie est habitée par les Kanaks, descendants des premiers peuples mélanésiens ayant habité l'île, et par les caldoches, descendants des français venus s'installer, de gré ou de force (la Nouvelle-Calédonie a longtemps été un pénitentiaire où l'on exilait des prisonniers) à partir de 1860.
De nos jours tout ce petit monde cohabite plus ou moins bien.

Les kanaks ont conservé leurs traditions ancestrales, ils vivent en tribus, autour d'un chef de tribu. Ils ont gagné le droit d'être considérés comme citoyens français à part entière depuis la 2nde guerre mondiale, avec certains droits particuliers.
La plupart des caldoches que nous avons rencontrés considèrent que les kanaks profitent du système: ils touchent des aides du gouvernement français, travaillent peu ou pas (ils ont des postes réservés dans des entreprises mais ne viennent pas toujours travailler) et freinent l'économie locale en refusant de vendre leurs terres.
Nous avions envie de rencontrer des kanaks pour avoir leur vision des choses et en apprendre un peu plus sur leur façon de vivre. A l'aide de Jean-Jacques, le sympathique gérant de la ferme où nous sommes, nous parvenons à convenir d'un rendez-vous avec le chef des tribus de Petit-coulis, Grand-coulis et Sarraméa. Cela nous parait un peu surréaliste, nous ne savons pas vraiment où nous allons mettre les pieds, l'excitation gagne, juste un peu ternie quand nous apprenons la veille de la rencontre que d'autres métropolitains ont eu vent de notre projet et se joignent à nous…
Le chef nous attend devant la case, bâtiment emblématique de toute tribu et lieu où l'on prend les décisions et règle les conflits. C'est un homme assez âgé, d'apparence assez bourrue. Jean-Jacques nous avait prévenu que c'est un indépendantiste et que face à des métropolitains il risquait d'être très revendicatif. Nous commençons par faire la coutume: la tradition veut que l'on s'échange des présents, une étoffe la plupart du temps. Nous avions convenu que pour cette fois nous amènerions de l'argent, les étoffes s'entassent dans leurs armoires et de nos jours l'argent est bien plus utile.
Le chef nous raconte pendant près d'une heure l'histoire de sa tribu. Le rythme est lent, posé, cet homme est au final très charismatique. Le frère de son grand-père est un personnage historique: il s'agit du chef Ataï qui s'est révolté à la fin du siècle dernier contre la colonisation française. A cette époque le gouvernement français prenait des terres appartenant aux kanaks pour les distribuer aux bagnards libérés des camps pénitentiaires et aux colons venant de France. De plus, les troupeaux de bêtes des colons, victimes d'une grande sècheresse, venaient manger les cultures des tribus. Le gouvernement français ne prenant pas de décision pour arranger la situation, la tribu décide de prendre les armes. Les français ripostent en armant les tribus rivales, fusils contre haches en pierre le combat est inégale et la tribu est massacrée.
Dans les années 80 le chef a reconstitué une carte décrivant précisément les terres qui appartenaient à la tribu avant la colonisation. Le gouvernement de l'époque avait promis de racheter ces terres pour les redistribuer aux kanaks mais rien n'a été fait. On imagine bien les problèmes que cela entrainerait…
L'homme nous parle aussi de son rôle de chef de tribu, des mariages inter-tribus, du rôle de la case, de l'évolution de la société. On aurait pu croire qu'il n'ait que rarement quitté sa tribu, allant quelques fois jusqu'à Nouméa, mais en fait il a fait le tour du monde allant dans un nombre considérable de pays, peut-être plus que nous ne le ferons dans notre vie! Ses enfants eux-mêmes font leurs études en métropole.
Cette rencontre nous a beaucoup intéressé. Cet homme est le gardien de traditions ancestrales qui perdurent malgré l'évolution de la société, grâce à une grande sagesse et un regard lucide sur le monde. Quand on se place du côté kanak on ressent vraiment que nous français avons eu le mauvais rôle dans l'histoire dans la Nouvelle Calédonie. Un référendum est prévu dans quelques années pour que le peuple calédonien se prononce sur une éventuelle indépendance, nous suivrons cela avec intérêt.

Le chef devant la case




Pause rafraîchissante


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